01 44 05 32 90

cabinet@cherqui.fr

15, rue de Lübeck

75116 PARIS

Ma Lecture du décret d’application de la loi Pinel
24 février 2017
by

Ma Lecture du décret d’application de la loi Pinel

Aux termes de ma précédente newsletter, je vous avais fait part de quelques réflexions que m’inspirait la Loi PINEL nouvellement promulguée, pour tenter d’en tirer divers enseignements à l’usage des bailleurs.

Cette Note était établie dans l’attente du Décret d’application de la Loi PINEL, censé apporter des précisions au sujet des charges, taxes et travaux récupérables sur les locataires en matière commerciale.

Depuis lors, le Décret d’application de la Loi PINEL a été publié le 3 novembre 2014.

Ce Décret qui institue les articles R 145-35 à R 145-37 du Code de commerce est, de l’avis de tous, assez mal rédigé.

Aussi, il ne m’étonnerait guère qu’il fasse l’objet de modifications à court terme.

Mais en l’état, il m’inspire les observations suivantes que je tiens à vous faire partager :

1/ Sur les travaux –

Le nouvel article R 145-35 du Code de commerce, dispose que :

« Ne peuvent être imputées au locataire :

1) Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;

2) Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l’alinéa précédent ;

(…)

Ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées au 1) et 2), celles se rapportant aux travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique ».

Il ressort en premier lieu de cette rédaction, que les grosses réparations prévues à l‘article 606 du Code civil, ne peuvent plus être imputées conventionnellement au locataire.

L’alinéa 1) ne précisant pas s’il s’agit des grosses réparations portant sur le bien loué ou sur l’immeuble dans lequel il se trouve, il convient de considérer, sans nul doute possible, que ledit article vise l’ensemble des grosses réparations visées à l’article 606 du Code civil, même celles votées par la copropriété portant sur des parties communes de l’immeuble (exemple : ravalement, toiture…).

En second lieu, le texte interdit à présent d’imputer conventionnellement au locataire, les travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté (il était auparavant possible de déroger purement et simplement à l’article 1755 du Code civil) ainsi que les travaux de mise en conformité du bien loué ou de l’immeuble avec la réglementation, dès lors que les uns ou les autres relèvent des grosses réparations visées à l’article 606 du Code civil.

En d’autres termes et a contrario :

  • Les travaux dus à la vétusté peuvent être mis à la charge du locataire par le bail s’ils ne relèvent pas des grosses réparations prévues à l’article 606 du Code civil (pourrait-on ranger dans cette catégorie, l’électricité ou la plomberie ?).
  • Les travaux de mise en conformité aux normes en vigueur peuvent également être mis à la charge du locataire par le bail s’ils ne relèvent pas des grosses réparations visées à l’article 606 du Code civil (les travaux de mise aux normes d’un ascenseur peuvent-ils rentrer dans cette catégorie ?)

À cet égard, je propose d’insérer dans vos futurs baux commerciaux la clause suivante à l’article « travaux d’entretien » :

« Par dérogation à l’article 1755 du Code civil, le preneur s’engage à prendre à sa charge l’ensemble des réparations portant sur l’Immeuble et sur les lieux loués, ainsi que sur leurs éléments d’équipement (en ce compris, le cas échéant, leur remplacement) même si de telles réparations ou remplacements étaient occasionnées par la vétusté ou la force majeure, sauf si de telles réparations relèvent des grosses réparations visées à l’article 606 du Code civil) ».

En revanche, la rédaction du deuxième alinéa de l’article R 145-35, au sujet des travaux de mise en conformité, me pose problème.

En effet, la volonté du législateur est d’éviter que le locataire puisse supporter des travaux de mise en conformité qui relèveraient des grosses réparations de l’article 606 du Code civil à la charge du bailleur.

A priori, cette intention est tout à fait louable et légitime.

Aussi, il a toujours été jugé, de jurisprudence constante, qu’à défaut d’être spécifiquement prévus au bail sur la tête du preneur, les travaux de mise en conformité aux normes administratives devaient rester à la charge du bailleur.

Cela étant, il a également été de jurisprudence constante, et c’est une question de bon sens, que si les travaux de mise en conformité aux normes administratives étaient soit nécessités par des travaux réalisés par le locataire, soit dus à une carence fautive imputable au seul locataire, c’était au seul locataire qu’il incombait d’en assumer la charge.

Certes, en pratique, les cas d’espèce ne sont pas quotidiens mais j’en ai déjà rencontrés.

Aussi, bien que le Décret ne prévoit pas une telle dérogation, le bons sens m’amène à vous proposer la rédaction de la clause suivante :

« Par dérogation aux dispositions de l’article 1719 du Code Civil, le Preneur devra également supporter, pendant toute la durée du bail et de ses éventuels renouvellements, à ses frais exclusifs, risques et périls, tous travaux de sécurité et/ou de mise en conformité avec toute réglementation et/ou législation de quelque nature que ce soit, notamment ceux prescrits ou ordonnés par les administrations compétentes, liés tant à son activité professionnelle qu’aux locaux loués, qui résulteraient d’une législation ou réglementation présente ou future ou bien d’une décision d’une autorité administrative, quelle qu’en soit la nature, et notamment, sans que cette liste soit exhaustive, en matière de police, de voirie, d’hygiène, d’exercice professionnel, de protection des travailleurs, de sécurité (et notamment, incendie, gaz, électricité), d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, d’environnement, et le cas échéant en matière d’Etablissement Recevant du Public (ERP) de manière que le BAILLEUR ne soit jamais recherché ni inquiété à ce sujet, dans la mesure où ces travaux ne relèveraient pas des grosses réparations visées à l’article 606 du Code civil susvisé sauf si de telles réparations étaient liées à l’activité du Preneur et/ou à sa carence fautive et/ou étaient rendues nécessaires par l’existence de travaux réalisés par le Preneur, à son initiative. »

En troisième lieu, il ne vous aura pas échappé que ce nouvel article R 145-35 dans son dernier aliéna, prévoit de façon assez stupéfiante, que :

« Ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées au 1) et 2), celles se rapportant à des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique ».

A mon sens, les « travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique », peuvent être qualifiés de « travaux d’amélioration ».

Ainsi, le rédacteur du Décret a prévu expressément par l’emploi d’une double négation (« ne peuvent être imputés » et « ne sont pas compris ») que :

Les travaux d’embellissement dont le montant n’excède pas le coût du remplacement à l’identique ne peuvent être impliqués au locataire,

Les travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique peuvent être imputés au locataire !

Il y a là, à mon sens, quelque chose de paradoxal.

Le bailleur pourrait imputer à son locataire toutes les grosses réparations prévues à l’article 606 du Code civil, notamment celles ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité les lieux à la réglementation, dès lors qu’il s’agirait de travaux d’embellissement qualifiables de travaux d’amélioration dont le montant excèderait le coût du remplacement à l’identique.

Au demeurant, sans l’accord préalable du locataire sur un quelconque devis de travaux !

Sans compter les nombreux litiges qui peuvent survenir au sujet de la qualification des travaux prévus, le bailleur estimant dans tel cas qu’il s’agit de travaux d’embellissement, le locataire estimant pour sa part, que ce n’est pas le cas…

C’est ce qui me fait dire qu’il ne m’étonnerait pas qu’une modification de ce texte intervienne prochainement.

Dans le cas contraire, il faudra faire avec cette incohérence.

En outre, à mon avis, bien qu’autorisés par le Décret, la prise en charge contractuelle par le preneur des travaux de vétusté ou de mise en conformité reste une charge exorbitante à déduire comme telle lors de l’appréciation de la valeur locative du bail en révision ou en renouvellement, même si de tels travaux ne relevaient pas des grosses réparations prévues à l’article 606 du Code civil.

Enfin, le Décret du 3 novembre 2014 est venu préciser le délai dans lequel le bailleur doit, à chaque échéance triennale, informer son locataire des travaux réalisés dans les trois années précédentes et des travaux qu’il envisage de réaliser dans les trois années suivantes (2 mois à compter de chaque échéance triennale).

Le texte ne prévoit aucune sanction de l’absence de communication de telles informations au locataire lors de la conclusion du bail ou lors de chaque échéance triennale.

Cela étant, ce silence ne saurait être interprété comme une absence totale de toute sanction civile.

En effet, il n’est pas interdit de penser que des contentieux pourraient s’élever entre bailleur et locataire, en particulier lorsque le propriétaire viendrait demander à son locataire, en cours de bail, le remboursement par exemple de travaux de mise en conformité ne relevant pas de l’article 606 du Code civil qui n’avaient pas été annoncés lors de la conclusion du bail ou lors de la précédent échéance triennale.

Un débat pourrait alors s’élever sur le caractère prévisible ou non des travaux dont le remboursement est sollicité.

2/ Sur les taxes –

Le nouvel article R 145-35, dispose que :

« Ne peuvent être imputés au locataire :

(…)

3° Les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l’immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ; »

Les bailleurs ont ainsi « sauvé les meubles » en conservant la possibilité de refacturer la taxe foncière et la taxe additionnelle à la taxe foncière.

En outre, il me paraît personnellement évident que « les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble », correspondent à la taxe sur les bureaux, la taxe sur les locaux commerciaux ou la taxe sur les locaux de stockage.

De même, il me paraît tout aussi évident que les « impôts, taxes et redevances liés… à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement » correspondent à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et à toute taxe assimilée à celle-ci.

Cependant, on peut regretter que le rédacteur du texte n’ait pas pris la peine de lister de façon plus claire et précise, les taxes récupérables et les taxes non récupérables, à l’instar de ce que le Décret de 1987 a prévu en matière de baux d’habitation.

Enfin, bien qu’autorisée, la prise en charge contractuelle par le preneur des taxes foncières et des taxes sur les bureaux ou assimilées (commerce ou stockage) reste une charge exorbitante à déduire comme telle lors de l’appréciation de la valeur locative du bail en révision ou en renouvellement, (à l’inverse de la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères qui apporte au locataire un service dont il bénéficie directement).

3/ Sur les frais et honoraires de gestion –

Le même article interdit l’imputation au locataire « des honoraires du bailleur liés à la gestion du loyer du local ou de l’immeuble faisant l’objet du bail ».

La rédaction de cet article, me semble ambiguë.

Faut-il lire « la gestion des loyers de l’immeuble faisant l’objet du bail » ou bien « la gestion de l’immeuble faisant l’objet du bail » ?

Dans le second cas, la prohibition prévue, pourrait s’étendre à la refacturation des honoraires du Syndic d’un immeuble en copropriété.

Cependant, l’emploi de l’expression « l’immeuble faisant l’objet du bail » me laisse plutôt et heureusement penser que le rédacteur du Décret n’a entendu viser que les honoraires de gestion locative à proprement parler, que le propriétaire ait mis en location simplement un local ou bien un immeuble entier.

Dès lors, les frais et honoraires du Syndic de copropriété ne me semblent pas visés par cette disposition prohibitive.

4/ Sur les charges de copropriété –

Contrairement à ce que nous pouvions attendre, le Décret d’application de la Loi Pinel ne liste pas de façon précise les charges de copropriété récupérables ou non récupérables sur le locataire.

En l’absence de prohibition expresse, il me semble donc que le bailleur est toujours en droit d’imputer contractuellement au locataire le remboursement de l’ensemble des charges de copropriété de l’immeuble à l’exception, comme nous l’avons vu précédemment, des grosses réparations de l’article 606 du Code civil portant sur l’immeuble ainsi que des travaux sur copropriété ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité l’immeuble avec la règlementation, dès lors que de tels travaux relèveraient des grosses réparations prévues à l’article 606 du Code civil.

Pour autant, bien qu’autorisée, la refacturation des charges de copropriété autres que celles appelées traditionnellement « locatives » c’est-à-dire celles qui n’apportent pas de service particulier et direct au locataire (par exemple, les frais et honoraires du syndic qui ne bénéficient pas directement au locataire contrairement à l’eau, la gardienne ou l’ascenseur) restent des charges exorbitantes à déduire lors de l’appréciation de la valeur locative du bail en révision ou en renouvellement.

En revanche, le Décret précise les délais dans lesquels le bailleur doit procéder à la régularisation des comptes de charges.

Le texte est néanmoins silencieux sur les sanctions applicables en cas d’absence d’envoi par le bailleur à son locataire, de l’état récapitulatif annuel des charges dans le délai légal imparti.

Cependant, ce silence ne signifie nullement l’absence de sanction.

À cet égard, la jurisprudence a déjà eu, à plusieurs reprises, à se prononcer sur les conséquences de l’absence de comptes de régularisation des charges adressés par le propriétaire au locataire.

C’est ainsi que, notamment par un Arrêt récent du 5 novembre 2014, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, confirmant sa jurisprudence antérieure, a considéré que l’absence de régularisation des charges dans les conditions prévues au bail commercial rend sans cause, les appels trimestriels de provision à valoir sur le paiement des charges et ouvre ainsi au locataire, le droit de solliciter le remboursement de l’ensemble des provisions versées à son bailleur à ce titre !

Ainsi, d’après la Cour de cassation, la sanction de l’absence de régularisation des charges locatives, ne se limite pas uniquement à l’impossibilité pour le bailleur de solliciter un éventuel reliquat de charges auprès du locataire mais s’étend au devoir pour le bailleur de restituer au locataire l’ensemble des provisions versées à ce titre sur un exercice donné.

Cette solution jurisprudentielle particulièrement grave et sérieuse, ne doit absolument pas être négligée par les bailleurs, d’autant que, maintenant que la Loi Pinel a créé une obligation légale de procéder à la régularisation des charges, la sanction prévue par la Cour de cassation s’applique a fortiori depuis la parution de la Loi Pinel.

Cette solution dégagée par la Cour de cassation, qui repose en réalité sur la notion de preuve, en l’occurrence, l’absence de preuve rapportée par le propriétaire du caractère certain liquide et exigible de sa créance en remboursement de charges, me semble pouvoir être transposée à tout type de baux (baux dérogatoires, baux d’habitation, baux professionnels…).

Telles étaient les observations dont je tenais à vous faire part.

Naturellement, je ne manquerai pas de vous informer de toute modification éventuelle de ce Décret comme de toute éventuelle application jurisprudentielle de la Loi PINEL et de son Décret d’application.

Share:

Archives

Catégories