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Réflexions sur le projet de loi visant a accorder la mensualisation et a plafonner le depot de garantie
2 mai 2024
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Réflexions sur le projet de loi visant a accorder la mensualisation et a plafonner le depot de garantie

Dans la majeure partie des baux commerciaux, il est stipulé que le locataire devra s’acquitter de ses loyers trimestriellement et d’avance, impliquant alors de sa part une importante sortie en trésorerie.

En outre, à la prise de possession de son commerce, on lui demande généralement, entre autres garanties locatives, le versement d’un dépôt de garantie, correspondant à plusieurs mois de loyers en principal, ce qui constitue alors une forte immobilisation finanicière avant même le démarrage de son activité.

C’est ainsi que, sous l’impulsion du combat mené depuis plusieurs années par diverses fédérations de commerçants dans le cadre des débats qui se sont déroulés au Conseil National du Commerce, selon un communiqué en date du 4 avril 2024, Madame Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation, a annoncé l’inscription, dans le projet de loi dite de « simplification de l’économie » porté par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, de deux mesures importantes impactant les baux commerciaux, à savoir :

  • d’une part, la mensualisation des loyers ;
  • et d’autre part, le plafonnement des dépôts de garantie à trois mois de loyer.

D’après le communiqué de Madame la Minsitre, la disposition inscrite dans le projet de loi permettra à chaque commerçant qui en fait la demande, y compris sur les baux en cours, d’obtenir cette mensualisation et le plafonnement des dépôts de garantie, avec la restitution de trésorerie correspondante. Cette restitution représenterait ainsi un mouvement de trésorerie de près de deux milliards d’euros. Toujours selon ce communiqué, il est précisé néanmoins qu’afin de ne pas impacter la gestion administrative des baux par les bailleurs et les commerçants, la facturation pourra demeurer trimestrielle.

Ce projet de réfome est encore à l’étude et fera l’objet de nombreux débats parlementaires et amendements avant de voir le jour, certainement avant la fin de l’année 2024.

Sur la « mensualisation » des loyers :

Au préalable, il apparaît que le terme de « mensualisation » employé par le communiqué précité est inapproprié au regard des informations contenues dans ce même communiqué.

En effet, ce mot pourrait laisser penser que le terme contractuel d’exigibilité du loyer du bail commercial deviendrait automatiquement et de plein droit un terme mensuel.

Or et d’une part, il ressort de l’annonce gouvernementale que le texte de loi à venir n’imposerait pas la mensualisation des loyers mais ouvrirait au locataire une faculté légale de paiement mensuel des loyers ce qui n’est pas exactement la même chose.

D’autre part et surtout, dans le même sens, le texte de loi à venir laisserait logiquement au bailleur la possibilité de poursuivre la facturation trimestrielle des loyers, nonobstant un règlement de ceux-ci en 3 règlements mensuels successifs d’égal montant.

Dès lors, si le bail prévoit que le loyer est exigible à terme trimestriel, il restera officiellement à terme trimestriel, de telle sorte qu’il est préférable de parler de « faculté de paiement mensuel » plutôt que de « mensualisation ».

Au passage, malgré la faculté de règlement mensuel. dont beaucoup de locataires ne manqueront pas d’user, nous recommandons d’ores et déjà aux Bailleurs de maintenir officiellement un terme d’exigibilité trimestriel, et ce, non seulement pour des raisons de commodité administrative, comme indiqué dans l’annonce gouvernementale, mais surtout pour éviter les foudres de l’article L 145-40 du code de commerce aux termes duquel :

« Les loyers payés d’avance, sous quelque forme que ce soit, et même à titre de garantie, portent intérêt au profit du locataire, au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, pour les sommes excédant celle qui correspond au prix du loyer de plus de deux termes. »

En effet, imaginons un bail prévoyant un loyer payable trimestriellement et d’avance, outre un dépôt de garantie égal à un trimestre de loyer.

Supposons qu’à la suite de l’entrée en vigueur du texte de loi à venir, le bailleur formalise officiellement une mensualisation du loyer par voie d’avenant, le terme d’exigibilité devenant alors mensuel, il détiendra un total de 4 mois de loyer d’avance (1 mois + 3 mois) de telle sorte qu’il serait redevable au profit du locataire d’un intérêt au taux légal sur tout ce qui dépasse deux mois de loyer d’avance, soit au cas d’espèce, sur deux mois.

Cette observation étant faite, deux interrogations se posent.

En premier lieu, il faudra veiller à ce que le législateur, qui ne tient pas toujours correctement la plume, fasse l’effort de préciser que cette faculté légale de paiement mensuel des loyers trimestriels ne s’applique qu’aux loyers payables trimestriellement et d’avance et non aux loyers payables trimestriellement et à terme échu…sauf à accorder légalement au locataire un crédit sur 3 mois pour le règlement d’un loyer afférent à une période d’occupation des lieux déjà consommée…

En deuxième lieu. le communiqué gouvernemental mentionne le terme de « commerçant ».

Aussi, il sera intéressant de savoir si cette faculté légale de paiement mensuel ne bénéficiera qu’aux « commerçants » à proprement parlé, ou bien si le législateur prévoit de l’étendre à tous les locataires titulaires d’un bail commercial quels qu’ils soient…en particulier à ceux relevant du secteur tertiaire – Bureaux et professions libérales.

En outre, cette faculté sera-t-elle reconnu à toutes les entreprises commerciales quelle que soit leur taille ? ou bien uniquement à celles ne dépassant pas un certrain seuil de chiffre d’affaires et de salariés, comme le législateur en prévoit souvent ? Si cette faculté légale peut se comprendre pour un petit commerçant ou artisan à la trésorerie fragile, on aurait plus de mal à l’admettre s’agissant, par exemple, du siège social d’une grande entreprise du CAC 40, lesquelles ne sont d’ailleurs pas toujours les plus promptes à s’acquitter rapidement de leurs loyers.

Sur le plafonnement du dépôt de garantie

Il convient de rappeler qu’aucune disposition légale ne limite à ce jour le montant du dépôt de garantie en matière de bail commercial, contrairement à ce qui existe en matière de bail d’habitation (un mois).

La seule limite indirectement posée par la Loi est celle découlant de l’article L 145-40 du Code de commerce précité, à savoir le risque pris par le Bailleur d’avoir à payer un intérêt au taux légal sur tout ce qui dépasse l’équivalent de 2 termes de loyers d’avance (risque peu encouru en pratique néanmoins).

C’est d’ailleurs précisément en raison d’un tel risque que la pratique qui s’est très rapidement installée en matière de locaux commerciaux a consisté à prévoir un loyer payable à terme trimestriel et non mensuel, permettant ainsi au Bailleur, de disposer, dans les faits, de 6 mois de loyers d’avance (un trimestre de loyer d’avance + un dépôt de garantie de 3 mois) sans avoir à débourser d’intérêts légaux.

Cette précision étant faite, plusieurs interrogations se posent.

En premier lieu, le texte ne vise à plafonner que les « dépôts de garantie » à proprement parlé, et ce, à hauteur de 3 mois de loyer.

Or, aujourd’hui, il est bien rare que le bailleur sollicite un dépôt de garantie supérieur à un terme de loyer trimestriel.

En effet, généralement, les dépôts de garantie d’un montant supérieur à 3 mois, par exemple à hauteur de 2 trimestres de loyer, ne se voient que lorsque le loyer est payable trimestriellement et à terme échu et ce, au regard du risque de paiement d’intérêts au taux légal.

Cependant, en pratique, les loyers payables trimestriellement et à terme échu sont tout de même de plus en plus rares !

En effet, dans la majeure partie des nouveaux baux, ils sont payables trimestriellement et d’avance, assortis d’un dépôt de garantie égal à 3 mois de loyer en principal (ou, de façon plus rare, mensuellement et d’avance, auquel cas le dépôt de garantie exigé ne dépasse pas l’équivalent d’un mois de loyer en principal).

En réalité, d’une façon de plus en plus courante, le Bailleur sollicite, en sus de ce dépôt de garantie de 3 mois, la fourniture d’une caution bancaire ou d’une garantie autonome à première demande (GAPD) émanant d’une banque, caution ou GAPD pouvant aller de 6 mois à un an de loyer en principal.

Aussi, on peut dès à présent se demander quel sera l’impact réel du plafonnement légal du dépôt de garantie à hauteur d’un trimestre de loyer, si, d’une part, peu de baux ne prévoient déjà pas un dépôt de garantie supérieur à 3 mois, et si par ailleurs, aucune disposition légale ne vient limiter la faculté du bailleur de solliciter d’un nouvel entrant la fourniture d’une garantie à première demande ou d’une caution solidaire.

Les futurs baux pourront facilement s’adapter aux nouvelles dispositions légales à venir, en prévoyant une telle garantie locative complémentaire en sus du dépôt de garantie.

En revanche, les baux déjà en cours, pour peu qu’ils aient prévu le versement d’un dépôt de garantie supérieur à 3 mois de loyer, seront non seulement impactés par l’obligation de restitution du surplus perçu à l’entrée dans les lieux, mais seront également pénalisés en comparaison aux nouvelles locations, puisqu’ils ne pourront plus compenser ce trop-perçu restitué par la garantie complémentaire type GAPD ou caution bancaire qu’ils auraient pu demander à l’entrée dans les lieux.

En second lieu, on comprend du texte à venir que, dans la mesure où il s’appliquera aux baux en cours, le bailleur devra restituer à son locataire le dépôt de garantie.

Aussi, quid de cette restitution lorsque le locataire accuse déjà un arriéré locatif ?

Le bailleur aura-t-il le droit de compenser de plein droit le dépôt de garantie restituable avec l’arriéré locatif en cours au jour de la restitution ?
On est en droit de se poser la question.

En effet, d’un côté, normalement, le dépôt de garantie n’a vocation à se compenser avec les dettes du locataire qu’après restitution des locaux. C’est la restitution effective des locaux au bailleur qui ouvre au locataire la créance en restitution du dépôt de garantie.

Ainsi, sauf convention contraire, le dépôt de garantie n’a pas à se compenser avec les créances du bailleur en cours de bail.

En outre, si les loyers sont réputés dus et exigibles par le simple effet du contrat de bail, leur exigibilité peut toujours être contestée par le locataire pour des raisons diverses et variées et l’on pourrait exiger du bailleur qu’il dispose préalablement d’un titre exécutoire de condamnation au paiement de l’arrière locatif avant d’opérer toute compensation avec le surplus de dépôt de garantie légalement restituable en vertu du texte légal à venir.

D’un autre côté, d’un point de vue moral, on a peine à imaginer que le bailleur puisse être obligé de restituer une partie du dépôt de garantie perçue légalement au jour de la conclusion du bail sans pouvoir le compenser avec une dette locative bel et bien exigible en vertu du bail lui-même.

Il serait donc judicieux que le législateur prévoie la faculté pour le bailleur de compenser le surplus de dépôt de garantie qu’il a l’obligation légale de restituer avec sa créance locative en cours.

Enfin, une dernière question juridique se pose, tant au regard de la faculté de règlement mensuel qu’au regard du plafonnement du dépôt de garantie annoncés :

Comme nous le savons, une modification notable des obligations respectives des parties peut constituer une cause de déplafonnement du loyer à la valeur locative à l’occasion du renouvellement du bail.

Ainsi, on peut légitimement se poser la question de savoir si… :

*l’exercice, par le locataire, de sa faculté légale de règlement mensuel du loyer, loyer pourtant stipulé contractuellement payable trimestriellement,

*et/ou la restitution d’un surplus de dépôt de garantie perçu légalement par le Bailleur, par suite du plafonnement du dépôt de garantie intervenu en cours de bail

…ne pourraient pas constituer une modification notable des obligations respectives des parties en ce que le bailleur, au cours du bail à renouveler, se voit imposer légalement, d’une part, un paiement échelonné du loyer trimestriel, et, d’autre part, une limitation de ses garanties locatives.

Là encore. il ne serait pas inutile que les textes à venir encadrent la question, mais je n’y crois guère.
Il m’a été agréable de vous faire partager ces réflexions et je me tiens naturellement à votre disposition pour en échanger avec vous.

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